… cinquante ans après,
entre commémoration et divisions
Cinquante ans après le coup d’état militaire qui met un hola à l’expérience socialiste chilienne et du même coup
à la démocratie, la commémoration des événements demeure ambiguë.
C’était un 11 septembre. Le coup se préparait depuis plusieurs mois, lorsqu’un groupe de forces armées,
ralliées à la dernière minute par un certain général Pinochet, bombarde le palais présidentiel de la Moneda
dans lequel se trouve le président Allende. Malgré tout, celui-ci ne se rend pas. Il finit par se donner la mort,
après avoir prononcé un dernier discours, dans l’édifice consumé par les flammes.
La démocratie est alors renversée et le putsch militaire débouche sur une dictature qui durera près de 17 ans .
Trois ans plus tôt, le 4 septembre 1970, Allende était élu à la tête d’une coalition de gauche,
l’unité populaire (La Unidad popular).
Le succès du nouveau président n’est que très relatif. 36,3 % des voix contre 34,5 % pour Jorge Alessandri, son adversaire de droite.
Allende est alors, souligne The Guardian, « le premier président socialiste d’Amérique à accéder au pouvoir par les urnes ».
Quelques temps après les élections, Le Monde évoque d’ailleurs, dans un un article paru en septembre 1970, « un début lourd de menaces ».
Et en effet, trois ans plus tard, c’est le coup d’état.
L’avenir d’un gouvernement marxiste et communiste en plein temps de guerre froide était déjà compromis et les États Unis n’y sont pas pour rien.
C’est en tout cas ce que suggère The Guardian: « La mort de la démocratie a sans aucun doute été précipitée par les actions des principales puissances, notamment le Royaume-Uni et l’Australie, mais surtout les États-Unis ».
Cet article met en lumière le rôle des États Unis dans la préparation du coup d’État. Ainsi, la CIA est accusée d’avoir dépensé pas moins de 8 millions de dollars à dessein de déstabiliser le gouvernement, en favorisant un climat de désordre politique, marqué par les grèves et les émeutes. Un régime autoritaire s’est trouvé préférable au communisme.
« Un Chili, divisé commémore le coup d’état du général Pinochet il y a 50 ans», titre Le Point. Si la commémoration des événements importe au président Gorge Boric comme la dénonciation d’un régime ayant ouvertement violé les droits de l’homme aussi bien comme le renouvellement d’un engagement en faveur des valeurs démocratiques, des divisions demeurent sur le sens de cette commémoration. L’article fournit des chiffres: presque 40% des Chiliens estiment qu’Allende est coupable du coup d’État. Nombreux affirment qu’« il n’y aurait pas eu de Pinochet sans Allende ».
En septembre 2019, un article paru dans le journal conservateur Chilien, el Mercurio, mettant en exergue les raisons justifiant le coup d’État, entraîne une polémique. L’article en question justifie le coup d’État comme nécessaire face à la menace de la tyrannie communiste.
On peut d’ailleurs y lire: « L’action des forces armées a été anticipée pour sauver le pays de la chute dans la guerre civile ou dans la tyrannie communiste ».
En outre, les opposants de droite se prévalent de la croissance économique que connaît le pays dans les années qui ont suivi le coup d’état.
« C’est faux » scande The Guardian. Si beaucoup de gens, aujourd’hui encore, continuent de penser que la violence du régime de Pinochet, peut s’excuser par des «performances économiques supérieures », « la transformation du Chili en faveur d’un marché libre ne doit pas être considéré comme une réussite »
En effet, « Même si la démocratie a été restaurée en 1990, l’ombre du général Pinochet continue de planer sur le Chili. », souligne la BBC .
Comme l’explique Carlos Quenan, professeur d’économie à la Sorbonne Nouvelle, non seulement « l’impulsion libérale de 1973 ne s’est pas forcément bien déroulée », et a donné lieu « à un fort endettement à l’égard des banques privées internationales et une crise bancaire en 1982 », mais le système néolibéral mis en place à cette époque n’a fait qu’accroître les inégalités. (NB: Un système néolibéral s’oppose à l’intervention de l’Etat dans l’économie et se base sur la recherche individuelle du profit comme moteur de celle-ci. Dans le cas du Chili, le néolibéralisme se traduit en autres par une société presque entièrement privatisée dans laquelle l’accès au soin et à l’éducation reste compliqué pour une grande partie de la population. On estime que 10,8% des Chiliens vivent sous le seuil de pauvreté).
Ainsi, à l’heure actuelle, le Chili demeure l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Comme le montre cet article paru dans Les Echos, malgré une stabilité économique apparente, « le Chili figure parmi les pays en tête de peloton derrière l’Afrique du Sud et le Costa Rica en termes d’inégalités ». On parle d’un coefficient d’inégalités de revenu équivalent à 0,46 en 2018 (un coefficient d’inégalités égal à 1 correspondant à une inégalité totale).
Il est à noter qu’en 1980, Jacques Choncal, le ministre de l’agriculture de l’époque, déplorait déjà « une très forte concentration de la richesse et des revenus, en faveur des plus riches et au détriment des plus pauvres ».
De plus,« Au cours des 17 années de régime militaire du général Augusto Pinochet qui ont suivi, 40 000 personnes ont été arrêtées, torturées ou victimes de disparitions forcées. Plus de 3 200 personnes ont été exécutées. », relève la BBC.
Cet article fait l’état d’un pays éprouvé dont le deuil peine à se faire notamment à cause du manque de réponses et de l’insuffisance de la justice rendue jusque-là.
C’est pour cette raison que le gouvernement a lancé depuis le mois dernier un plan de recherche des personnes disparues, afin qu’elles «n’aient pas à porter la responsabilité de retrouver leurs proches ou de connaître la vérité uniquement sur leurs épaules”, déclare Camila Vallejo, la porte parole du gouvernement Chilien.
De cet état de fait émerge la volonté de réformer le pays, notamment en changeant la constitution actuelle, héritée de Pinochet. En mai dernier, les chiliens ont donc élu un conseil chargé de rédiger une nouvelle constitution.
Sources:
https://www.bbc.com/news/world-latin-america-66706064
pour aller plus loin: